Persécutions dues à l’orientation sexuelle (homosexualité)

M. O. demande à la Cour d’annuler la décision du 22 août 2014 par laquelle le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d’asile et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire;

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE



N°14033258


M. O.


Mme de Segonzac

Présidente de la Cour nationale du droit d’asile


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


(1ère section, 1ère chambre)

Audience du 12 janvier 2017

Lecture du 2 février 2017



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C+


Vu la décision n°391534 du 17 juin 2016 par laquelle le Conseil d’Etat statuant au contentieux, saisi d’un pourvoi présenté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), a annulé la décision de la Cour n°14033258 du 20 mars 2015 et renvoyé l’affaire devant elle ;


Vu le recours, enregistré sous le n°14033258 (n°896476) le 12 novembre 2014 au secrétariat de la Cour nationale du droit d’asile, présenté pour M. O. demeurant (…), par Me Diawara ;


M. O. demande à la Cour d’annuler la décision du 22 août 2014 par laquelle le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d’asile et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ;


Il soutient que, de nationalité nigériane, de confession chrétienne et originaire de l’Etat d’Edo, il craint des persécutions en raison de son orientation sexuelle ; il fait valoir qu’il a découvert son homosexualité durant l’adolescence, lorsqu’il a développé une relation intime avec un camarade de classe ; que lorsqu’il est allé à l’université en 2003, il a entamé une relation avec un étudiant ; que le 16 octobre 2003, il a été violemment agressé par un groupe d’étudiants munis d’armes blanches alors qu’il se trouvait en compagnie d’amis homosexuels, le contraignant à quitter l’université en raison des risques liés à la révélation de son homosexualité sur le campus ; qu’à compter de 2004, sous la pression familiale et pour éviter d’éveiller les soupçons, il a fréquenté une amie de sa sœur avec laquelle il a eu trois enfants ; qu’il a utilisé le prétexte de vouloir économiser de l’argent pour la

« bride price » afin de repousser l’échéance du mariage ; qu’en novembre 2010, il a eu une liaison avec un homme d’affaires rencontré dans le cadre professionnel à Warri ; qu’en avril 2012, ce dernier étant jaloux de ses échanges avec un autre homme, l’a accusé à tort de vol et l’a fait retenir

au poste de police durant une semaine avant de se rétracter ; qu’après leur réconciliation, son amant a accepté de financer son départ à l’étranger, reconnaissant la précarité de sa situation ; qu’il a quitté le Nigéria le 23 mars 2013 à destination du Canada, avant d'être arrêté et placé en zone d'attente lors de son escale à Paris ;

Vu la décision attaquée ;


Vu la communication du recours à l'OFPRA le 13 novembre 2014 ;


Vu, enregistré le 19 novembre 2014, le dossier de demande d'asile, communiqué par le directeur général de l'OFPRA ;


Vu la décision du bureau d’aide juridictionnelle du 8 octobre 2014 accordant à M. O. le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale ;

Vu la note, enregistrée le 19 mars 2015, présentée pour M. O., par Me Daoud, par laquelle il conteste les conditions du déroulement de l’audience du 27 février 2015 ;

Vu l’ordonnance du 19 décembre 2016 fixant la clôture de l’instruction, en application des articles R. 733-13 et R. 733-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, au 7 janvier 2017 ;


Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2017, présenté par le Directeur général de l’OFPRA, tendant au rejet du recours ; l’office soutient d’une part qu’il existe un groupe social des personnes homosexuelles au Nigéria au regard de la pénalisation de l’homosexualité ; que d’autre part, la seule appartenance au groupe social ne suffit pas à justifier des craintes de persécutions, l’intéressé ayant fourni un récit peu pertinent sur les relations homosexuelles qu’il a entretenues et n’a décrit que très généralement le contexte homophobe de son pays ; que l’agression alléguée a fait l’objet de développements sommaires, en particulier sur l’aide qu’il aurait reçue de la part d’un tiers ; que le différend d’ordre privé avec l’homme d’affaires qu’il a fréquenté et son arrestation ont été évoqués en des termes peu concluants sans qu’aucune description de sa détention au poste de police ne soit apportée ; qu’enfin concernant les pièces du dossier, le témoignage de son amant ne confirme pas les accusations controuvées à son encontre, son activité auprès de l’Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l'immigration et au séjour (ARDHIS) n’est pas connue de ses proches ni des autorités de son pays et les certificats médicaux, outre le fait que l’un d’entre eux comporte une erreur fragilisant sa valeur probante en indiquant que les constatations sont compatibles avec les faits survenus en Mauritanie, énoncent des constatations dont la valeur probante est relative en ce qu’elles sont seulement possiblement causées par les traumatismes allégués ;


Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;


Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés ;


Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;


Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, notamment son livre VII ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;


Après avoir entendu à huis clos, en application de l’article L. 733-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, au cours de l’audience du 12 janvier 2017 :


  • le rapport de Mme Huebner, rapporteur ;

  • les explications de M. O., assisté de M. Kassam Rashul, interprète assermenté ;

  • et les observations de Me Daoud, succédant à Me Diawara, conseil du requérant ;


  1. Considérant que, pour demander la reconnaissance de la qualité de réfugié, M. O., de nationalité nigériane, soutient qu’il appartient au groupe social des personnes homosexuelles au Nigéria ; qu’à ce titre, il ne peut retourner dans son pays où il a déjà subi des persécutions pour ce motif, sans craintes pour sa sécurité ;

  2. Considérant qu'aux termes du paragraphe 2 de la section A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » ;


  3. Considérant qu’un groupe social est, au sens de ces dispositions, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions ; qu’en fonction des conditions qui prévalent dans un pays, des personnes peuvent, en raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social au sens de ces dispositions ; qu’il convient dès lors, dans l’hypothèse où une personne sollicite le bénéfice du statut de réfugié en raison de son orientation sexuelle, d’apprécier si les conditions existant dans le pays dont elle a la nationalité permettent d’assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe ; que l’existence d’une législation pénale, qui réprime spécifiquement les personnes homosexuelles, permet de constater que ces personnes doivent être considérées comme formant un certain groupe social ;


  4. Considérant que le code pénal nigérian, en son chapitre 21, article 217, condamne à trois ans d’emprisonnement tout individu masculin qui se livrerait, avec un autre individu masculin, à des actes considérés comme portant atteinte à la pudeur ; qu’en janvier 2014, a été promulguée la loi

    « Same sex marriage (prohibition) Act » (SSMPA), qui punit de quatorze ans d’emprisonnement toute personne qui aurait une relation avec une personne du même sexe ou qui contracterait un mariage ou une union civile avec une personne du même sexe ; que la charia, applicable dans douze Etats du Nord du Nigeria, punit l’acte de sodomie de la peine de mort par lapidation, tandis que les actes sexuels lesbiens sont punissables de cinquante coups de fouet et de six mois d’emprisonnement ; que dès lors, les personnes homosexuelles constituent, au Nigéria, un groupe social ;

  5. Considérant que les pièces du dossier et les déclarations écrites et orales de M. O., notamment celles fournies lors de l’audience à huis clos, ont permis de tenir pour établis les motifs à l’origine de son départ du Nigéria ; qu’il a tenu des propos constants et cohérents tout au long de sa procédure d’asile sur son parcours personnel en lien avec son orientation sexuelle, ainsi que l’évolution de sa situation ayant conduit à sa décision de quitter le pays ; qu’il a décrit de façon personnalisée qu’il ne supportait plus le fait d’être contraint de vivre son orientation sexuelle de façon dissimulée et de subir des pressions familiales grandissantes pour épouser la mère de ses enfants ; que son récit est corroboré par deux attestations du coordinateur de l’accompagnement de l’asile de l’association ARDHIS, rédigées en des termes précis et circonstanciés ; que l’ensemble de ces éléments permet de considérer que le requérant appartient au groupe social des personnes homosexuelles au Nigéria ;

  6. Considérant que si, d’après les constatations du département d’Etat américain dans son dernier rapport sur la situation des droits de l’homme publié en 2016, les dispositions pénales répressives évoquées au considérant 4. ne sont pas effectivement appliquées au Nigéria, en revanche, le rapport de mission de l’OFPRA et de la CNDA publié en décembre 2016 souligne que depuis la promulgation de la SSMPA en 2014, les actes négatifs à l’encontre des minorités sexuelles ont augmenté de façon significative, les acteurs étatiques comme non-étatiques se sentant ainsi légitimés et encouragés dans la perpétration d’actes violents envers les minorités sexuelles ; que des cas d’arrestations arbitraires et de détentions illégales sur le fondement de l’orientation sexuelle sont répertoriés qui peuvent durer jusqu’à un mois si la personne n’a pas les moyens de payer un pot-de- vin pour sa libération ; que des cas de lynchages (mob attacks ou jungle justice) sont constatés tant par le rapport du département d’Etat américain publié en 2015, que par un rapport publié en 2015 par plusieurs ONG nigérianes sous le titre « TIERS, report on human rights violations based on real or perceived sexual orientation and gender identity in Nigeria, 2015 » décrivant, pour l’année 2014, cent cinq cas de violations des droits humains fondées sur l’orientation sexuelle et le genre sur l’ensemble du territoire nigérian, incluant des cas de chantages, d’extorsions, de menaces et d’enlèvements ; que les personnes homosexuelles ne peuvent en aucun cas se prévaloir de la protection des autorités, de telles démarches étant vaines, surtout depuis la promulgation de la loi de 2014 ; qu’ainsi, si la seule pénalisation des actes homosexuels au Nigéria ne constitue pas, en tant que telle, une persécution, l’ensemble de ces éléments établit suffisamment que les personnes homosexuelles sont exposées au Nigéria à un risque de persécutions en raison de leur orientation sexuelle ;


  7. Considérant que M. O. s’est référé à plusieurs reprises à sa peur d’être à nouveau personnellement exposé au risque de subir cette « jungle justice », après avoir déjà été victime d’un tel épisode sur son campus universitaire, qui l’avait contraint à abandonner ses études par crainte de subir de nouvelles agressions homophobes ; que le récit des violences alors subies est corroboré par les constatations d’un certificat médical du 30 octobre 2013, confirmé le 22 décembre 2014, constatant plusieurs cicatrices compatibles avec ses déclarations ; que ces persécutions antérieures ainsi que la persistance du risque auquel les personnes homosexuelles sont actuellement exposées au Nigéria, ainsi que cela ressort du considérant 6., constituent un indice sérieux que le requérant subisse personnellement à nouveau ces mêmes persécutions en cas de retour dans son pays ; qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que M. O. s’expose, en cas de retour au Nigéria, à des persécutions en raison de son appartenance au groupe social des personnes homosexuelles et qu’il est, par suite, fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié ;

D E C I D E :


Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA du 22 août 2014 est annulée. Article 2 : La qualité de réfugié est reconnue à M. O..

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. O. et au directeur général de l’OFPRA.


Délibéré après l’audience du 12 janvier 2017 où siégeaient :

  • Mme de Segonzac, présidente de la Cour nationale du droit d’asile ;

  • M. Dauvin, personnalité nommée par le haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés ;

  • Mme Allix, personnalité nommée par le vice-président du Conseil d’Etat ;


Lu en audience publique le 2 février 2017


Le président :


M. de Segonzac

Le chef de service :


C. Piacibello


La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.


Si vous estimez devoir vous pourvoir en cassation contre cette décision, votre pourvoi devra être présenté par le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation dans un délai de deux mois, devant le Conseil d'Etat. Le délai ci-dessus mentionné est augmenté d'un mois, pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises et de deux mois pour les personnes qui demeurent à l'étranger.


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